Extrait :

"C’était le début de l’An de Grâce. Tout poussait, même les choses qu’on ne connaissait pas... Jamais vu ça, dit-il. Jamais vu autant de grains...Les grains attendaient d’être moulus, les meuniers ne dormaient plus et leur moulins allaient trop fort. Le vent se mit à l’est. Le pays se couvrit de farine. Il tomba une averse durant la nuit, et les gens trouvèrent de la pâte devant leur porte le matin. Ils jetèrent de la bière dessus, et en attendant que ça lève montèrent des fours. Que faire de tout ce pain ?

Eremetus réunit le Conseil... et proposa, en application de la Loi V concernant le Bien du Peuple, que le pain soit gratuit... les boulangers s’interrogèrent comment ils achèteraient le bois pour chauffer les fours...le bois serait gratuit... Les haches seront gratuites, décida le conseil... Les soufflets seront gratuits... Les peaux seront gratuites... Le conseil décida que tout serait gratuit, oh mon dieu qu’est ce que je vais faire de mon argent dit l’argentier.

...Les gens - les gens faisant partie de tout, sont gratuits, dit le roi après avoir consulté la loi. Mais les gens ne voulurent pas suivre les barons s’ils ne les payaient pas. Les barons restèrent tout seuls, avec leurs chiens et leurs femmes qui venaient quand ils les appelaient, sauf Beurrée de Gigogne qui en profita pour filer sur un cheval, disant que si tout est gratuit on est libre. Ah oui ? lui répondit son cheval, couvert d’écume, et il la foutit par terre au milieu d’un champ d’avoine. Elle continua à pied...

Eremetus réunit le Conseil, pour déterminer à qui sont les femmes. Les femmes sont à tout le monde, dit la conseillère Désirade. Les hommes aussi, dit le conseiller Malafoutre. Tout le monde est à tout le monde, dit le conseiller Adage. Chacun est à soi, dit le conseiller Ezéchias. C’est pareil, dit le conseiller Analogue. Les gens sont à Dieu, dit la conseillère Abandon d’Eli. Les chevaux aussi, dit la conseillère Beurrée. Tout ce qui est gratuit est à Dieu, dit la conseillère Ténèbres. Et tout est gratuit, rappela le conseiller Eremetus. Quel bordel, dit le conseiller Ganidan, et comment je vais acheter des soldats ? Les soldats sont gratuits, dit le conseiller Avatar. Oui mais ou ils ne veulent pas être gratuits ou ils ne veulent pas être soldat, dit le conseiller Tancrève. Moi encore je suis capitaine, c’est différent. J’ai l’honneur. Mais eux n’ont rien. Que la soupe. La soupe est gratuite, dit le conseiller Culasse. Et en plus elle est mauvaise. La soupe doit être bonne, dit le conseiller Eremetus, faisons une loi. A quoi ça sert que la soupe soit bonne s’il n’y a plus de soldats ? dit le conseiller Ganidan. Quel bordel ce royaume.

J’objecte qu’on utilise sans arrêt le nom de ma maison comme injure, dit la conseillère Désirade. Les bordels sont gratuits, dit le conseiller Ganidan. Et ton cul ? dit la conseillère Désirade. Voilà, parmi d’autres, un compte rendu du Conseil, tel qu’il en arrivait jusqu’aux oreilles des étrangers.

 Et comment on va saler le lard ?..."